Les enjeux de la Collectivité Territoriale d'Alsace (anciennement Conseil Unique d'Alsace) : des éléments pour débattre. Institutions d'avenir ou illusion collective ? --- Analyses proposées par Mathieu Lavarenne, président du Cercle Républicain 68 Edouard Boeglin et conseiller municipal (indépendant) dans un petit village alsacien. Plus de 22 000 visiteurs uniques en quelques semaines. Blog qui a "fait se dresser les cheveux sur la tête" de Philippe Richert, référencé par France Info.
27 Février 2013
Conseil d’Alsace – Referendum du 7 avril 2013
Economies, êtes-vous bien là ?
L’un des principaux arguments des partisans du Oui à la Collectivité Territoriale d’Alsace, ce sont les économies générées par la fusion des trois collectivités actuelles. Sauf que les chiffres annoncés sont infiniment dérisoires au regard de leurs budgets cumulés.
Réglons la question du coût du référendum qui est un faux problème. On parle de 1,8 millions d’€. Autrement dit, comme l’Alsace compte 1,8 millions d’habitants, cela équivaut environ à un euro par habitant. Et si l’on compte le nombre d’électeurs inscrits, environ 1 euro 50. C’est peu, c’est le coût de la démocratie (en revanche, ce que l'on peut remettre en cause, c'est le déséquilibre gigantesque entre le oui et le non dans l'espace public, sans doute peu représentatif de l'opinion).
Venons-en maintenant aux budgets des trois collectivités actuelles, afin d'y voir plus clair.
Le budget du Conseil général du Bas-Rhin
Proposé par Guy-Dominique Kennel le 10 décembre dernier, le budget primitif 2013 s’élève à 1 milliard 166 millions d’€ (dont 812,3 M€ de fonctionnement et 189,4 M€ d’investissement "hors dette").
Un an plus tôt, le budget 2012 était de 1156 M€, soit une augmentation de 10M€.
Le montant de la dette publique était d’environ 580 M€ en 2010 et, fin 2012, elle s’élève à 625 M€, ayant connu une augmentation d'environ 80% en 10 ans.
Le budget du Conseil général du Haut-Rhin
Proposé par Charles Buttner le 6 décembre dernier, le budget primitif 2013 du conseil général du Haut-Rhin s’élève à 811,256 millions d’€ (574,064 M€ en fonctionnement et 237,191 M€ en investissement).
Un an plus tôt, le budget proposé en décembre 2012 était de 794,5 M€ (16,7M€ d’augmentation).
En 2010, le montant de la dette publique était d’environ 450 M€, soit une augmentation de 100% en l’espace de 10 ans.
Le budget de la Région Alsace
Le budget primitif 2013 du conseil régional d'Alsace, proposé par Philippe Richert et adopté le 21 décembre 2012, s’élève à 788,5 millions d’€ (dont 282 M€ en dépenses d’investissement et 506,5 M€ de fonctionnement).
En 2012, le budget était de 797 M€ (dont 506 M€ de fonctionnement et 291 M€ d’investissement), soit une baisse de 8,5M€, réalisée sur les seuls investissements.
Avec une dette de 700M€ en 2010 et une augmentation de 360% en 10 ans, l’Alsace fait partie des régions les plus endettées de France (dépassée uniquement par la Corse, la Guyane, la Réunion, la Guadeloupe, l’Auvergne et le Nord-Pas de Calais).
Le BUDGET TOTAL 2013 pour les trois collectivités est donc de 2 milliards 766 millions d’euros (dont 2058 M€ de fonctionnement et 708 M€ d’investissement).
30 millions d'économies : un effet d'annonce !
De nombreuses voix se sont élevées pour demander des estimations chiffrées des économies annoncées dans les documents que permettrait la Collectivité Territoriale d’Alsace. Or quels sont, depuis peu, les chiffres claironnés par la majorité alsacienne (UMP) de Philippe Richert ? « 30 millions d’euros économisés sur 5 ans ! »... avec un beau point d’exclamation destiné à impressionner l’électeur (qui, il est vrai, compte rarement ses sous en millions).
Autrement dit, 6 millions d’euros par an pendant 5 ans (après on ne sait pas).
Si ces économies devaient être réalisées dès 2013, cela ferait un budget global de 2760 millions d'€ au lieu de 2766 M€. La belle affaire !
Au regard de la masse cumulée des budgets des trois collectivités, ce sont des économies de l’ordre de 0,2%,
qui pourraient très largement être réalisées sans ce bricolage institutionnel.
Ainsi, sur un graphique de 27,6 cm de haut, représentant les trois budgets cumulés, les économies annuelles représenteraient environ un demi-millimètre. Comme on compte 1,8 million d'Alsaciens, l'un des trois principaux arguments avancés pour le projet de Collectivité consiste donc à promettre 3 euros et 30 centimes d'économies par an et par habitant.
Autrement dit, quelques "clopinettes" au regard des sommes brassées… et surtout beaucoup de poudre aux yeux.
L’augmentation globale du budget cumulé
Par ailleurs, la probable augmentation des budgets d’ici 2015 (date de la mise en place de la nouvelle entité si elle doit voir le jour) suffira largement à absorber ces économies projetées. En effet, entre 2012 et 2013, les budgets des deux conseils généraux ont augmenté de 26,7 M€ (notamment sur les dépenses sociales, qui ne sont pas près de diminuer au regard de la situation catastrophique de notre pays et particulièrement de l’Alsace, en matière de chômage).
Le budget du conseil régional a toutefois connu une baisse de 8,5 millions d'€, mais réalisée uniquement sur les dépenses d’investissement, et pas du tout sur le fonctionnement.
A elles trois, les collectivités alsaciennes ont donc connu une augmentation de leurs budgets cumulés de 18,2 M€ en un an. C’est trois fois plus que les économies annoncées.
L’explosion des dettes publiques locales
Prenons aussi en considération les dettes des trois conseils alsaciens : on parvient à une somme de 1730 M€ en 2010, avec des augmentations considérables en 10 ans. La somme est encore supérieure aujourd’hui (si vous avez les chiffres précis, je suis preneur). Et au rythme actuel, elle le sera encore plus en 2015 et les cinq années suivantes.
On ne voit pas en quoi une nouvelle collectivité (et la désorganisation probable des services que cela va impliquer pendant quelques temps) arrangerait les choses.
On peut donc prévoir sans prendre un grand risque d’erreur, que la seule augmentation de la dette publique sera des dizaines de fois supérieure aux économies promises.
Le désengagement de l’Etat
Il ne faut pas oublier non plus la baisse prévisible des dotations de l’Etat, dans le cadre de son désengagement continu depuis des années (on peut d'ailleurs se demander si, en grande partie, ce n'est pas à cela que sert aujourd'hui la décentralisation : bien plus que de rapprocher l'administration des citoyens, elle permet à l'Etat et à ceux qui le gouvernent de se défausser de leurs responsabilités et de leur impuissance sur des échelons subalternes).
Il faudra prendre en compte les coûts de l’acte III de la décentralisation et des transferts de compétences afférents. En outre, nos élus régionaux et départementaux réclament encore des compétences « spécifiques » pour l'Alsace qu’il faudra aussi financer.
Alors, certes, l’Etat transfèrera des fonds pour le fonctionnement, à un instant t. Pas pour l'augmentation probable de ces dépenses. Ni pour les investissements futurs qui ne manqueront d'arriver assez rapidement. Et, lorsque ce sera le cas, l’argent devra forcément venir de l'emprunt et des contribuables locaux, qui verront une nouvelle fois leurs impôts exploser. Ou bien alors la qualité des services se dégradera immanquablement.
Charles Buttner avait donc bien raison quand il avait récemment osé affirmer, à contre-courant de son propre camp, qu’il n’y aurait ni simplification, ni économies avec le projet de Collectivité Territoriale d’Alsace.
Robert Hertzog, professeur émerite de droit public et de l'IEP de Strasbourg, mettait pourtant en garde en février 2012 : "il est impératif qu’une réduction des coûts actuels soit affichée comme un objectif majeur de l’opération ; car ce n’est qu’ainsi qu’on pourra faire plus et mieux grâce à ces économies, puisque la fusion n’apportera par elle-même aucune ressource supplémentaire, ou alors de manière très marginale." (Les Cahiers de l'Association de Prospective Rhénane, volume n°5, février 2012, p.89)
Tout ça pour ça ?
Et pourquoi cette précipitation à vouloir faire cette réforme qui n'apporte pas ce qu'elle annonçait ?
Mathieu Lavarenne
Président du Cercle Républicain 68 Edouard Boeglin
Conseiller municipal indépendant
NB du 29 mars :
Lors de la réunion "Bisel dit oui" (lundi 25 mars) à laquelle j'ai assisté, Charles Buttner est revenu sur la question des économies : "Nous nous engageons à faire au moins aussi bien, avec moins d'argent. A propos des économies annoncées tout à l'heure par Philippe Richert, si on arrive à faire au moins autant qu'aujourd'hui, ce sera pas mal. Mais ce qui ne sera pas dépensé dans un coin sera nécessairement réorienté sur d'autres dossiers, par exemple le social, dont les dépenses ne peuvent qu'augmenter".
Deux jours auparavant, le journal L'Alsace (qui n'a jamais laissé aucune place, malgré les plus cordiales sollicitations, aux communiqués du Cercle Républicain 68) avait publié un article intitulé "Autant que des économies, le conseil d’Alsace devrait permettre plus d’efficacité" (L'Alsace du 23 mars), répondant indirectement aux contradicteurs, mais sans jamais les citer. On appréciera.
--> Sommaire
L'analyse des résultats :
--> En Alsace, c’est « non » ! (où l’on trouvera des éléments d’analyse pour comprendre les résultats du 7 avril 2013 et faire le bilan de la campagne référendaire).
D'autres articles sur ce blog :
--> Fusion des collectivités : restons vigilants ! (21 décembre 2013) - (où l'on apprendra que l'amendement visant la suppression de la condition de referendum pour la fusion de collectivités est certes supprimé, mais que le projet reviendra, comme les hirondelles, avec le printemps)
--> Eh bien non ! Ce sera oui quand même... (1er septembre 2013) - (où l'on verra que moins de trois mois après le non alsacien, un amendement était voté à l'assemblée pour supprimer la condition de referendum)
--> La notice d'information "hors la loi" - pour quoi votera-t-on : un projet ou une fusion ?
--> Le schéma trompeur de la notice dite d'information
--> Le Non (censuré !?) de Bernard Notter, vice-président du Conseil général du Haut-Rhin !
--> La prudence avisée des Conseils de développement Mulhouse-Thur-Doller
--> Les médias qui protègent le "oui"
--> Le flop des réunions pour le "oui"
--> Menace sur les communes ! Où est la proximité ?
--> Appel au débat contradictoire : où sont passés les partisans du oui ?
--> Rien n'est joué d'avance... : la mobilisation sur internet sera cruciale
--> Le 7 avril : NON, pas l'abstention !
--> Charles Buttner : ni économies, ni simplification, mais plus d'autonomie
--> L'Eurométropole ET le Conseil (pas unique) d'Alsace
--> Sondage : le grand malentendu du "Oui"
--> Point de vue de l'historien Georges Bischoff : "ne pas se tromper d'Alsace"
--> Ils diront non : les arguments de Constant Goerg, Jean Ueberschlag ou encore Pierre Freyburger
--> Conseil d'Alsace : des infographies pour mieux comprendre
--> Oui - Non : deux poids, deux mesures ?!? : Lettre ouverte à la présidente de l'Université de Haute-Alsace
--> Comprendre les enjeux du seuil de 25% des inscrits
--> L'oubli de la France !
--> Histoire et principes de la structure départementale
--> Referendum en Alsace : un chèque en blanc ?
--> CTA : le flou artistique !
--> Pour un débat public et responsable
--> Vers la suppression des 25%?
--> Comment transmuer le simple en complexe (et vice-versa)
--> Le referendum d'initiative locale : mise en perspective.
--> La Collectivité Territoriale d'Alsace : LES DOCUMENTS.
--> Un Conseil pas Unique du tout : le Conseil Complexifié d'Alsace
--> La surenchère régionaliste en Alsace.