Les enjeux de la Collectivité Territoriale d'Alsace (anciennement Conseil Unique d'Alsace) : des éléments pour débattre. Institutions d'avenir ou illusion collective ? --- Analyses proposées par Mathieu Lavarenne, président du Cercle Républicain 68 Edouard Boeglin et conseiller municipal (indépendant) dans un petit village alsacien. Plus de 22 000 visiteurs uniques en quelques semaines. Blog qui a "fait se dresser les cheveux sur la tête" de Philippe Richert, référencé par France Info.
1 Novembre 2014
Conseil d'Alsace - Réforme territoriale
Les alchimistes du « oui »
Alors que le Sénat vient de voter en faveur d'une Alsace seule, les 29 et 30 octobre dernier, et avant que le sujet ne se retrouve, autour du 18 novembre, sur la table de l'Assemblée (qui aura le dernier mot), le Conseil d'Alsace a fait son retour dans les débats. Et l'on reste bouche bée devant la grossière tentative des élus pour transformer le plomb en or : après avoir voulu faire passer une complexification pour de la simplification, lors du pseudo débat de 2013, voilà maintenant qu'on voudrait nous faire avaler que l'échec du référendum du 7 avril serait en fait une victoire, une victoire volée, avec un soi-disant "vote majoritaire des Alsaciens" ! Le département est présumé-supprimé, alors même que c'était l'objet de la question posée...
Pour être adopté en 2013, le projet de Collectivité Territoriale d'Alsace (ce Conseil « unique » d'Alsace qui était en réalité une complexification) devait réunir trois conditions : la majorité des suffrages, avec un minimum de 25 % des inscrits pour le oui (des conditions toutefois moins dures que pour un référendum local « classique » qui doit franchir coûte que coûte les 50 % de participation). Le projet devait aussi obtenir l'aval de chacune des collectivités séparément, une fusion forcée n'étant pas encore au programme.
Péché d'orgueil
Beaucoup s'imaginaient alors, dans les sphères dirigeantes, que ce qui avait raté en Corse et dans l'Outre-mer depuis 2003, ne serait qu'une formalité en Alsace. Un sentiment renforcé par le sondage CSA du 7 mars 2013 qui donnait le oui vainqueur à 71 % dans le Haut-Rhin et à 78 % dans le Bas-Rhin. Tous les voyants étaient au vert pour les promoteurs du projet, notamment les élus régionaux et départementaux qui avaient voté en sa faveur à près de 90 % lors des deux Congrès préparatoires. Péché d'orgueil, sans doute.
Les résultats du 7 avril ont donc fait l'effet d'une véritable claque populaire. Non seulement la participation était trop faible pour que le oui bas-rhinois, à 67,5 %, soit validé, mais les Haut-rhinois ont voté à près de 56 % pour le non au projet, avec 25 points en moins que le sondage publié un mois plus tôt et une participation supérieure à ce qui était annoncé ! On a aussi pu voir apparaître deux logiques départementales clairement marquées (cf. les saisissantes infographies, dont celle ci-contre).
Docilité des chiffres et opération de communication
La statistique n'est pas une science, c'est un art. Et bien souvent, c'est l'art de mentir avec précision, comme j'ai pu l'entendre de la bouche du représentant d'un institut de sondage. De fait, on peut faire dire ce qu'on veut à des chiffres, tout dépend de leur présentation. Les communicants (c'est le terme moderne pour propagandiste, au sens neutre du terme) payés par le conseil régional et les conseils généraux l'ont bien compris.
Dès la soirée électorale, le bal des mauvais perdants avait en effet commencé. Et cela n'est allé qu'en s'amplifiant jusqu'à aujourd'hui avec des éléments de langage désormais bien huilés, le non du Haut-Rhin se trouvant dilué dans le oui du Bas-Rhin, avec un chiffre global de 57,6 % des votants pour le oui, répété à l'envi. Depuis, les "votants" sont devenus les "Alsaciens", dont nous avons bien compris qu'on se gardera de leur redemander leur avis, puisqu'on prétend le connaître par avance. Comme si le Haut-Rhin était présumé disparu, alors même que c'était l'objet de la consultation ! Un comble. Comme si aussi les abstentionnistes qui n'ont pas été convaincus par le projet étaient automatiquement des soutiens... Qui ne dit mot consent ?
Or, sur les 1,274 millions d'inscrits en Alsace, seuls 255 000 ont voté pour le oui, ce qui fait seulement 20 % d'entre eux. Et l'on veut maintenant nous faire croire que la majorité y serait favorable ! Nous aurions pu espérer une autocritique du projet de 2013 et des méthodes employées. Mais non, tout était bien, et d'ailleurs "les gens ont changé d'avis"... Le projet est toujours aussi flou et l'on ne sait toujours pas comment il pourrait s'articuler avec l'eurométropole strasbourgeoise. Entre autres.
Ce qui est particulièrement choquant, c'est que des sénateurs, pourtant garants de l'intérêt général, se puissent se laisser aller à une telle mauvaise foi en public. Le néo-sénateur René Danesi a ainsi affirmé dans une intervention aux relents autonomistes (et vécue comme une injure par sa collègue Marie-Noëlle Lienemann, très émue) que "notre referendum" avait été retoqué "faute d'avoir atteint le double quorum", "bien qu’approuvé par 58 % des votants". Exit le non haut-rhinois. Il ajoute d'ailleurs que "le général de Gaulle a aussi été recalé par les électeurs lorsqu’il a voulu créer les régions, mais la régionalisation a été faite" [13 ans plus tard]. C'est vrai... en 2005 aussi, les électeurs ont voté contre le Traité Constitionnel Européen et son contenu est revenu par la fenêtre en 2007. On ne peut pas être plus clair sur les intentions : les électeurs se sont exprimés, mais on fera tout pour faire l'inverse. Rappelons que De Gaulle avait eu le panache de démissionner, afin que la politique de la France ne se fasse pas contre le peuple... Ici, ce sont les mêmes qui affirment vouloir faire passer par la fenêtre ce qui vient d'être rejeté, et ce dès le soir du scrutin ! Sans scrupule.
La sénatrice Fabienne Keller a aussi appelé ses collègues à « ne pas mettre à mal le projet de collectivité unique d'Alsace qui a recueilli plus de 90 % des suffrages des élus locaux et plus de 58 % des Alsaciens ». Rien que ça ! La sénatrice Catherine Troendlé ajoute, en prévision du vote à l'Assemblée Nationale à la mi-novembre : « nous devons à présent réaffirmer l'adhésion des Alsaciens au projet de Conseil unique pour sensibiliser les députés mais aussi et surtout le président de la République » (DNA du 31 octobre). On en passe (notamment dans la presse locale) et on se pince.
Dès le 7 avril au soir, Philippe Richert, président du conseil régional et ancien ministre chargé de la réforme territoriale, avouait effectivement qu'il aurait préféré ne pas tenir compte du refus des Haut-Rhinois. Imaginons un instant que la région Franche-Comté décide de se lancer dans le même processus de fusion entre collectivités. Les habitants du tout petit Territoire de Belfort (moins de 100 000 inscrits) ne pèseraient pas grand-chose dans la balance, il ne leur serait même pas utile d’aller voter. Drôle de démocratie. C'est la logique du puissant qui, parce qu’il est grand et fort, pourrait annexer le petit dont les protestations ne sont pas entendues. C’est la logique impériale, de triste mémoire, et qui finit toujours mal. Exactement ce que de nombreux partisans du oui, et porteurs du projet, reprochent de façon outrancière à "Paris" en criant régulièrement (et improprement d'ailleurs) au "jacobinisme"... Y aurait-il donc un "jacobinisme" strasbourgeois ?
Quand, dans un couple, on force à la fusion l'un des deux partenaires, cela ne s'appelle-t-il pas un viol ?
En viendra-t-on vraiment là ?
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--> Sommaire du blog
--> "Jetzt langt's" : maintenant ça suffit (30 novembre 2014) - Où l'on verra que pendant les commémorations officielles de la libération de la ville de Strasbourg 70 ans plus tôt, un millier de personnes ont manifesté contre la fusion des régions : parmi eux des fanatiques ont hué des anciens combattants, d'autres ont dérobé des drapeaux bleu-blanc-rouge, d'autres encore ont arboré de nauséabonds slogans...L'autonomisme est aujourd'hui décomplexé.
--> Adieu référendum... (26 novembre 2014) - Où l'on verra que les débats n'ont que très peu évoqué l'article 3 de la loi de réforme territoriale qui supprime la condition de référendum pour les modifications des collectivités.
--> Les conseils (d'Alsace) du Dr Guido BUTTCHERT : Toute ressemblance avec des événements réels ou avec des personnalités connues, comme Guy-Dominique Kennel, Charles Buttner et Philippe Richert, est évidemment totalement fortuite.
--> Conseil unique d'Alsace - Le rappel des faits - Chronologie 2010-2014 (25 octobre 2014) - Où l'on pourra se remémorer les faits depuis l'autorisation légale de l'expérimentation institutionnelle en décembre 2010 jusqu'au retour forcé du conseil unique d'Alsace par la fenêtre, après qu'il ait été sorti par la grande porte du référendum.
--> Conseil Unique d'Alsace le retour - L'amendement du Sénat (22 octobre 2014) - Où l'on verra que la campagne de mauvaise foi contre les résultats du 7 avril a des répercussions au Sénat où de nombreux Alsaciens, légitimement hostiles à la grande région Alsace-Lorraine-Champagne Ardenne, sont fait cocus par leurs élus...
--> Conseil d'Alsace et réforme territoriale – Manifestation du 11 octobre – Une manifestation en demi-teinte (12 octobre 2014) - Où l'on verra que la manifestation du 11 octobre n'a pas été à la hauteur des espérances, pour avoir soufflé sur les divisions plutôt que sur une volonté de rassemblement.
--> Retour du conseil d'Alsace - Les ficelles (médiatiques) sont un peu grosses - Halte aux manipulations ! (où l'on verra comment les électeurs qui ont voté non le 7 avril 2013 sont rayés de la carte par un "sondage" réalisé dans la presse locale)
--> Tarif spécial - La mascarade du 11 octobre (4 octobre 2014) - Où l'on verra que le Conseil d'Alsace outrepasse ses prérogatives pour soutenir une manifestation à caractère politique en demandant à la SNCF de mettre en place un tarif TER spécial de 5€.
--> Retour du Conseil Unique d'Alsace - Crise de légitimité et responsabilité politique (18 septembre 2014) - Où l'on verra combien nos élites semblent avoir perdu le sens de la démocratie et de la République. Que l'on ait voté pour ou contre en Alsace lors du referendum du 7 avril 2013, cela doit choquer. Et cela choquera. Les nuages continuent de s'amonceler à l'horizon, et il y a fort à craindre pour l'avenir. Elus, élues, le tonnerre gronde. Que ferez-vous ? Que ferons-nous ?
--> Suppression de la condition de referendum et retour du Conseil Unique d'Alsace (29 août 2014) - où l'on apprendra que dans le cadre de la loi sur la fusion des régions un amendement vise à supprimer la condition de referendum pour les fusions et modifications de collectivités territoriales. Et de voir les partisans de la Collectivité unique reprendre du poil de la bête...
L'analyse des résultats du 7 avril 2013 :
--> En Alsace, c’est « non » ! (9 avril 2013) - (où l’on trouvera des éléments d’analyse pour comprendre les résultats du 7 avril 2013 et faire le bilan de la campagne référendaire).
Dix raisons de voter non en 2013 :
--> Dix raisons de voter non : ce projet est une usine à gaz complexe qui, loin de permettre des économies risque bien de nous coûter cher. En participant à l'émiettement institutionnel de la France, il nous affaiblira sans doute plus qu'il nous renforcera. C'est un projet précipité et flou, sans aucune vision d'ensemble, et qui sert de cache-misère politique. Sur fond de crise de confiance généralisée et de fantasmes autonomistes, nos élus risquent de s'enfermer dans une bulle, car la proximité annoncée n'est qu'illusoire. Refusons le chèque en blanc.