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Les enjeux de la Collectivité Territoriale d'Alsace (anciennement Conseil Unique d'Alsace) : des éléments pour débattre. Institutions d'avenir ou illusion collective ? --- Analyses proposées par Mathieu Lavarenne, président du Cercle Républicain 68 Edouard Boeglin et conseiller municipal (indépendant) dans un petit village alsacien. Plus de 22 000 visiteurs uniques en quelques semaines. Blog qui a "fait se dresser les cheveux sur la tête" de Philippe Richert, référencé par France Info.

Conseil d'Alsace - Point de vue de l'historien Georges Bischoff - « Ne pas se tromper d'Alsace »

 

 

 

Collectivité Territoriale d’Alsace – Referendum du 7avril 2013

 

Georges Bischoff :

 

« Ne pas se tromper d'Alsace »

 

 

georges-bischoff-livre-histoire-d-alsace.jpg

Vous trouverez ci-dessous une réflexion inédite de l'historien Georges Bischoff, à propos du projet de fusion des trois collectivités. Collaborateur régulier à la revue trimestrielle "Saisons d'Alsace", il est notamment l'auteur d'une remarquable "Histoire d'Alsace", aux éditions de la Nuée Bleue, dont les illustrations ont été réalisées par Jacques Martin, le père d'Alix, et son élève Christophe Simon.

Qu'il soit remercié de cette contribution, tournée vers l'universel contre le repli identitaire, qui rappelle aux uns et aux autres que les mots utilisés dans le débat public sont lourds de sens et qu'il s'agit de ne pas se laisser aller à la facilité des formules démagogiques, voire mythologiques, notamment lorsqu'elles invoquent un supposé "destin de l'Alsace" ou invitent rhétoriquement les Alsaciens à "prendre leur destin en main".


Mathieu Lavarenne, président du Cercle Républicain 68 Edouard Boeglin


 

 

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POINT DE VUE D’UN HISTORIEN

 

par Georges Bischoff

 

 

La consultation relative à la fusion de la Région Alsace et des deux départements du Rhin mérite une réflexion approfondie.

 

 

1) Remarques générales

 

Si l’on se place dans l’optique d’une rationalisation, accompagnée d’économies d’échelle et d’un travail de terrain plus efficace (« la proximité »…), cela se conçoit parfaitement. La question est de savoir qui fait quoi, et où, et comment, en simplifiant le millefeuille administratif.

 

Il y a des évolutions nécessaires, à condition de supprimer les branches mortes et d’éviter les conflits d’intérêt.  Des progrès ont été faits depuis le Loi Defferre (ex : communautés de communes).

 

Si l’on se place dans la perspective institutionnelle, au niveau de la décision politique on peut faire d’autres remarques : la « fusion » (appelons cela ainsi, par commodité) va effectivement concentrer les pouvoirs et personnaliser encore davantage l’exercice de ceux-ci. C’est beaucoup plus inquiétant (et, du reste, cela s’observe déjà, notamment dans les communes). La solution consiste à prévoir des contre-pouvoirs ou des instances indépendantes de contrôle (a postériori).

 

La question de fond est celle de l’articulation des autorités régionales et de l’Etat, qui est l’outil de la souveraineté nationale et populaire, qui, pour l’heure, continue à exister, et, semble-t-il, toujours plus, quand bien même ses attributions ont été transférées vers le haut (Bruxelles) ou vers le bas (régions, etc.).

 

 

2) La justification par l’histoire : à manier avec précautions

 

Cela dit, le cas de l’Alsace m’interpelle, pour un certain nombre de raisons.

 

D’abord, parce que le débat est délibérément orienté vers l’affectif ou l’identitaire, comme si son objet était le particularisme de cette région, hors du cadre national, mais au nom de grands enjeux européens.

 

Ensuite, et surtout, parce qu’on l’argumente à grands coups de références historiques, comme s’il s’agissait de restaurer quelque chose ou d’accomplir un destin.  Enfin, parce qu’on suggère que  l’Alsace existe organiquement, comme « pays réel » et pas simplement comme expression géographique réductible à ses composantes (départements, villes, petits pays, etc.)

 

La part de l’imaginaire politique est considérable. A mon sens, rien ne permet d’invoquer une histoire longue pour fonder quelque chose qui, dans le meilleur des cas, répond à des impératifs techniques contemporains. Les expériences souvent invoquées : le duché d’Alsace, la Décapole, les « états d’Alsace du XVIe et du XVIIe s. ou le Reichsland Elsass-Lothringen sont des « inventions », ou plus exactement, des relectures mythifiantes, ou, mieux, une histoire virtuelle. Dans ce tableau, d’ailleurs, on oublie la province d’Alsace de Louis XIV (1648-1789) qui est à l’origine d’une culture politique très différente de celle des « Länder » de l’ancien Empire allemand.

 

La seule période historique qui mérite d’être prise en considération est la nôtre. Donc, en gros, celle de la génération des actifs actuels, qui n’ont pas connu les changements de nationalité des 142 dernières années. C’est leur culture politique qui est en question.

 

Par ailleurs, et c’est, à mes yeux, l’essentiel, il ne faut pas se tromper d’Alsace : il y en a une grande, universelle, et une petite, locale, de voisinage.

 

Pour autant qu’on puisse le dire, la très petite région géographique comprise entre Vosges et Rhin combine deux histoires singulières.

  •  La première, c’est d’être à l'« équateur de l’Europe », sur une ligne de fracture qui court du nord au sud du continent, ce qui en fait, du même coup, l’interface et l’enjeu entre deux « blocs » – et l’oblige à se définir. Autrement dit, cette Alsace-là est au cœur  d’une histoire qui la dépasse.
  •  La seconde, qui résulte en grande partie de celle-ci, c’est d’être une molécule d’appartenances, un composé de tensions dans tous les domaines (religieux, linguistique, politique, social, etc.). Comme disait Voltaire à propos de Colmar « ni français, ni allemand, tout à fait iroquois ».

 

Or, et c’est là que réside, historiquement, la véritable grandeur de l’Alsace, des circonstances répétées ont amené les Alsaciens (ou des Alsaciens) à se reconnaître – volontairement – dans quelque chose d’universel qui transcendait leur identité locale.

  • Le premier événement : la Révolution française, qui les a inscrits dans une nation, au nom de la Liberté.
  •  Le deuxième est l’annexion à l’Allemagne de Bismarck, qui s’est traduite par une protestation au nom du droit des peuples – et, par l’exil d’une partie de l’élite politique : c’est alors qu’on a inventé une Alsace hors d’Alsace, exemplaire, fondamentalement républicaine, comme prototype d’une « fusion » citoyenne au-delà des différences communautaires. Cette Alsace-là, en 1870-71 a servi à démontrer  les concepts d’Egalité et de Fraternité (excusez du peu, mais c’est un fait, qu’ont rappelé les grands esprits du temps). C’est l’Alsace de Marc Bloch.  
  •  Enfin, troisième épisode – après des incompréhensions réciproques entre les « revenants » d’après 1918 et la génération formée sur place avant 1914, l’annexion de fait par les nazis, et son corollaire : sacrifice, résistance et libération.

 

Cette grandeur-là n’a pas besoin de se traduire dans des institutions spécifiques pour s’affirmer.

 

Georges Bischoff

 

 

 

--> Sommaire

 

 

L'analyse des résultats :

infographie-les-resultats-du-referendum

 

--> En Alsace, c’est  « non » ! (où l’on trouvera des éléments d’analyse pour comprendre les résultats du 7 avril 2013 et faire le bilan de la campagne référendaire).

 

 

 

 

D'autres articles sur ce blog :

 

 

 

--> Fusion des collectivités : restons vigilants ! (21 décembre 2013) - (où l'on apprendra que l'amendement visant la suppression de la condition de referendum pour la fusion de collectivités est certes supprimé, mais que le projet reviendra, comme les hirondelles, avec le printemps)

 

--> Eh bien non ! Ce sera oui quand même... (1er septembre 2013) - (où l'on verra que moins de trois mois après le non alsacien, un amendement était voté à l'assemblée pour supprimer la condition de referendum)

 

--> Après le 7 avril... 

 

--> Dix raisons de voter NON

 

--> La notice d'information "hors la loi" - pour quoi votera-t-on : un projet ou une fusion ?

 

--> Le schéma trompeur de la notice dite d'information

 

--> Le Non (censuré !?) de Bernard Notter, vice-président du Conseil général du Haut-Rhin !

 

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--> Conseil d'Alsace : des infographies pour mieux comprendre

 

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--> Referendum en Alsace : un chèque en blanc ?

 

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--> Pour un débat public et responsable

 

--> Vers la suppression des 25%?

 

--> Comment transmuer le simple en complexe (et vice-versa)

 

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--> La Collectivité Territoriale d'Alsace : LES DOCUMENTS.

 

--> Un Conseil pas Unique du tout : le Conseil Complexifié d'Alsace

 

--> La surenchère régionaliste en Alsace.

 

--> La tentation ethnique des Verts et le soutien du PS.

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F
<br /> Donc il y a les bons alsaciens, républicains, universalistes qui ont opté pour la nationalité française après 1871 et les mauvais particularistes ? <br />
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R
<br /> <br /> Bonjour,<br /> <br /> <br /> L'universalisme est une caractéristique de la République française. Il y a aussi l'exigence républicaine de ne pas mélanger le public et le privé, la politique et l'identité. Cela ne veut pas<br /> dire qu'il n'y a pas de particularismes. Au contraire, mais cela libère l'individu du poids des communautés, qui peut choisir ses particularités. Mais la loi, le droit ne concerne que le citoyen<br /> en général. Rien à voir avec les gentils et les méchants comme vous le sous-entendez. C'est cela la grandeur de la République. Vous avez le droit de ne pas y croire. Mais alors il faut dire<br /> quelles sont vos intentions politiques.<br /> <br /> <br /> Très cordialement (je vous rappelle que les commentaires sur internet n'empêchent pas la politesse)<br /> <br /> <br /> M.L.<br /> <br /> <br /> <br />
A
<br /> Vision téléologique interdite, dit en quelque sorte Georges Bischoff. D'accord. <br /> <br /> <br /> Mais alors  que pense t-il de la création , oui création, de la France. Là il y aurait eu une "finalité". Le brillant historien du Moyen-Age a-t-il été contaminé par son ami<br /> Chevènement? <br /> <br /> <br /> La question est bien moins compliquée comme il le reconnaît lui-même au début de son intervention .<br />
Répondre
R
<br /> <br /> Merci pour votre commentaire.<br /> <br /> <br /> La France est une création politique, bien entendu, et c'est tout sa force (en même temps que sa faiblesse). Elle n'est pas fondée sur la nature, mais sur une volonté commune (qui risque toujours<br /> de s'effriter).<br /> <br /> <br /> C'est pour cela que la République n'est pas communautariste, mais universaliste, et que la liberté individuelle y prime sur celle des communautés "naturelles".<br /> <br /> <br /> C'est le sens de la loi qui doit être la même pour tous.<br /> <br /> <br /> Voir mon article sur la question du<br /> département.<br /> <br /> <br /> Cordialement,<br /> <br /> <br /> M.L.<br /> <br /> <br /> <br />