Les enjeux de la Collectivité Territoriale d'Alsace (anciennement Conseil Unique d'Alsace) : des éléments pour débattre. Institutions d'avenir ou illusion collective ? --- Analyses proposées par Mathieu Lavarenne, président du Cercle Républicain 68 Edouard Boeglin et conseiller municipal (indépendant) dans un petit village alsacien. Plus de 22 000 visiteurs uniques en quelques semaines. Blog qui a "fait se dresser les cheveux sur la tête" de Philippe Richert, référencé par France Info.
30 Novembre 2014
Réforme territoriale - Les dérives en Alsace
« Jetzt langt's » :
maintenant, ça suffit !
(mise à jour du 1er décembre)
Depuis le 6 juin dernier et les commémoration du débarquement de Normandie, le « 70ème anniversaire de la Libération de la France et de la victoire sur le nazisme » fait l'objet de nombreuses cérémonies nationales et internationales, dans l'objectif que les plus jeunes n'oublient pas ce sang qui a hélas coulé en quantité, au service de la liberté et des valeurs républicaines. Ce 23 novembre 2014 à Strasbourg, alors même que l'on y commémorait officiellement la difficile libération de la ville 70 ans plus tôt, un millier de personnes manifestait contre la fusion des régions : parmi eux des fanatiques ont hué des anciens combattants, d'autres ont dérobé des drapeaux bleu-blanc-rouge, d'autres encore ont arboré de nauséabonds slogans... Mais ce qui est pire encore, c'est que les voix qui se sont parfois élevées pour condamner ces dérives n'ont été que bien peu nombreuses et bien peu relayées. Avec la Marseillaise, certes chantée mais aussi sifflée le 11 octobre dernier, ces actes de plus en plus décomplexés montrent combien il est urgent de recadrer un débat qui devient malsain voire dangereux pour la cohésion sociale.
Un rappel historique ne fait pas de mal pour commencer. Voici celui publié sur le site officiel du 70ème anniversaire des combats de la Libération, à propos de Strasbourg et de l'Alsace : « le 22 novembre 1944, après avoir franchi les Vosges, la 2ème Division Blindée du Général Leclerc, incorporée au sein du 15ème corps d’armée américain, file vers Strasbourg pour s’emparer de la ville, et si possible de Kehl, sur l’autre rive du Rhin, tout en tenant la trouée de Saverne. Le 23 novembre à l’aube, les groupements de Guillebon, de Langlade et Dio s’ébranlent. A 10 heures, les premiers éléments du 12ème régiment de cuirassiers pénètrent dans la capitale alsacienne. Dans une proclamation, le général Leclerc rappelle aux Strasbourgeois que la libération de leur ville constitue pour lui un double symbole : l’aboutissement de son serment de Koufra et la libération de la capitale de l’Alsace, annexée par le IIIe Reich. [...] Le 16 décembre, les Allemands lancent une vaste offensive dans les Ardennes, bousculant les Américains. Le 31 décembre, une nouvelle phase de cette offensive concerne l’Alsace : une tête de pont est créée le 5 janvier devant Strasbourg. L’évacuation de la ville est envisagée par l’état-major allié, mais le général de Gaulle demande au général Leclerc de se maintenir coûte que coûte. Tandis que les troupes américaines se replient sur une ligne Haguenau-Wingen, la 3ème division algérienne, renforcée par la 10ème division d’infanterie, formée de FFI, va défendre la ville. […] Le 22 janvier, l’intervention énergique de la 2ème DB permet de stabiliser le front à une quinzaine de kilomètres de la capitale alsacienne, qui ne sera jamais reprise par l’ennemi. »
Ainsi, quand les troupes alliées sont entrées dans Strasbourg, la population les a accueillies dans un esprit de fraternité, de fête et de soulagement, à l'opposé de l'accueil réservé aux troupes du Reich quatre ans plus tôt. Et lorsque le commandement américain annonce quelques semaines plus tard qu'il souhaite se retirer d'Alsace pour stopper la contre-offensive hitlérienne dans les Ardennes (une nouvelle fois), le général de Gaulle comprend immédiatement le risque (d'où son blocage salvateur) : un bain de sang aurait été réservé aux Alsaciens, ayant manifesté leur joie, de la part des troupes allemandes et de leurs « relais » locaux. Au détriment d'une stratégie purement militaire, et contre les décisions du commandement allié, les troupes françaises font le choix de tenir l'Alsace pour protéger les populations. Belle leçon de courage et de dignité.
Des anciens combattants hués
Soixante-dix ans plus tard, ce dimanche 23 novembre 2014, une manifestation réunissant un petit millier de personnes contre la grande région Alsace-Lorraine-Champagne-Ardenne a donc eu lieu à Strasbourg, suite à une mobilisation des réseaux sociaux. Parmi eux, selon Denis Becker, journaliste à France 3 Alsace, « de nombreux autonomistes et quelques groupuscules d'extrême droite ». Les informations glanées ici et là font froid dans le dos. Ainsi : « les manifestants ont fait le tour du centre ville de Strasbourg sous les yeux des touristes et des anciens combattants qui commémoraient les 70 ans de la libération de la Ville qui ont été hués par certains ». Des anciens combattants hués, le jour même de la commémoration de la Libération !? Comment le concevoir ? Comment accepter cela ? Pourquoi un tel silence parmi nos représentants ? Pour moins que ça, des propos litigieux provoquent parfois des levées de bouclier ultra-médiatisée. Mais là, rien ou presque. Comme si quelque chose gênait, on préfère fermer les yeux.
Vulgarité et sous-culture
Christian Bach des Dernières Nouvelles d'Alsace précise : « parmi les slogans scandés par les manifestants, "Elsass Frei" [Alsace libre] et, aussi, "Làck mich am Arsch" [lèche-moi le cul] repris par quelques centaines de personnes devant le théâtre municipal, au bas de la place Broglie. » (DNA du 23/11/2014) On appréciera la finesse d'esprit et la délicatesse dans l'expression. En espérant que cela ne soit pas interprété hors Alsace comme l'expression de la « culture spécifiquement alsacienne » tant vantée ces derniers temps...
"70 ans et toujours pas libérée" !
Et voici le pompon : « sur le perron de l'Hôtel de Ville, poursuit le journaliste, des manifestants ont déployé une banderole sur laquelle était écrit : "70 ans après et toujours pas libérée". » Il faut le lire pour le croire. Comme si l'Alsace n'avait pas été libérée, comme si le régime républicain ne valait pas mieux que le régime nazi… une façon de noircir la République, à moins que ce ne soit l'inverse par l'atténuation de la férocité de l'occupation hitlérienne. Et cela sous le nez ébahi d'anciens combattants de la France Libre...
Les milieux autonomistes n'en sont d'ailleurs pas à leur premier coup : en 2010, le parti Unser Land, turbulent allié d'Europe Ecologie, affilié à la fédération Régions et Peuples Solidaires, se voyait exclu des listes régionales communes pour propos outranciers : le micro-parti d'activiste s'indignait en effet "de la manière dont « chaque mètre carré » d'Éguisheim a été orné du drapeau national pour célébrer le 65e anniversaire de la libération de la poche de Colmar, en rappelant que cet étendard était également celui de « Pétain, du régime de Vichy, de la torture en Algérie »". Derrière un discours apparemment d'ouverture européenne, Unser Land masque à peine sa haine viscérale de la France. Andrée Munchenbach, sa présidente actuelle, est ainsi l'auteur d’une lettre ouverte au président de la République fédérale allemande, Joachim Gauck, en août dernier, uniquement disponible en langue allemande : « Comme par le passé, l’Alsace est traitée comme une colonie. […] Nos enfants n’ont pas le droit de connaître l’histoire de leur peuple. Au lieu de cela, on leur casse les oreilles avec la Seconde Guerre mondiale […] Monsieur Gauck, s’il vous plaît, ne nous laissez pas mourir ! En tant que représentant du “grand frère” d’outre-Rhin, vous n’avez pas le droit de laisser disparaître l’Alsace. Nous attendons de vous que vous interveniez pour protéger l’Alsace » (traduction Georges Bischoff et Bernard Reumaux). A noter que le mouvement Unser Land se classe lui-même au centre gauche de l'échiquier politique. Il est très représenté dans les manifestations en Alsace ces derniers mois, sous les drapeaux rouge et blanc et les demandes d'"autonomie". Il est aussi à l'initiative des bandeaux noirs scotchés sur les panneaux des communes alsaciennes.
Souffler sur les braises...
Non seulement nos élus ne réagissent pas, restant désagréablement dans l'ambiguité, mais certains soufflent carrément sur les braises. Comment ne pas mettre les graves dérives ci-dessus en parallèle avec les propos déplacés et choquants du néo-sénateur haut-rhinois René Danesi qui affirmait il y a peu, devant ses collègues d'assemblée, le 29 octobre dernier, que « l'histoire tourmentée de notre région nous a appris qu'il fallait compter d'abord sur nous-mêmes ». Quelle vision inquiétante et étriquée de notre société ! Il est difficile de concevoir que l'on puisse être sénateur et s'exprimer ainsi devant la représentation nationale. Sa collègue la sénatrice Marie-Noëlle Lienemann, touchée au coeur, y répondra d'ailleurs avec une émotion à peine contenue, y voyant "une injure à l'histoire" ainsi qu'à toutes celles et tous ceux qui ont durement participé aux combats pour la Libération et plus récemment à tous les élus français, et non seulement alsaciens, qui bataillent pour le maintien de Strasbourg comme "capitale européenne".
Attitude contre-productive
De fait, ces attitudes outrancières jettent globalement le discrédit sur l'opposition à la réforme territoriale du gouvernement, de même que la volonté de contourner le vote du 7 avril 2013 en proposant le retour du conseil unique d'Alsace. Ce sont précisément ces actes et ces paroles qui alimentent les craintes et donnent du poids à l'idée de ne pas laisser l'Alsace seule avec ses démons identitaires. Ce sont ces propos et ces postures qui ont amenuisé le potentiel de mobilisation des citoyens contre la réforme. Sans compter la suppression de la condition de référendum pour les évolutions territoriales, purement et simplement passée aux oubliettes.
Les conséquences de cette image (trompeuse) d'une Alsace vulgaire, repliée sur elle-même et arrogante, sont à craindre. Ô combien ces gens-là, sous couvert d'un amour débordant, légitime et sans aucun doute sincère pour leur région d'appartenance, nuisent à l'Alsace. Avec des amis comme cela, point besoin d'ennemis. Si la grande région finit par passer, ces cohortes d'hurluberlus auront une part énorme de responsabilité dans l'échec de leur combat, victimes du syndrome de Don Quichotte (ce pseudo-chevalier, dangereusement utopiste, qui provoque toujours pire que ce contre quoi il prétend lutter, au nom justement de la pureté de ses idéaux de Justice et de Liberté...).
Ne serait-il pas possible de militer contre la grande région ALCA tout en brandissant fièrement le drapeau tricolore et en invoquant les principes et l'histoire de notre République ?
M.L.
PS (mise à jour du 1er décembre) : ce dimanche 30 novembre, une nouvelle manifestation était organisée à Colmar. Après avoir tergiversé, le collectif qui avait appelé au rassemblement s'était finalement retiré. C'est donc le parti Unser Land qui a pris les choses en main. Commentaires du journaliste Olivier Roujon dans L'Alsace du 1er décembre : "certains passages du discours d’Andrée Munchenbach, devant la préfecture du Haut-Rhin, ont pu susciter une forme de malaise. L’appel à « la résistance » ou la défense de la « Heimat » peuvent se discuter, mais demeurent compréhensibles dans le climat de défiance actuel. Mais en quoi rappeler que « manifester en France peut être mortel » , comme l’a fait Andrée Munchenbach, est-il constructif ? Quant à l’initiative de faire huer publiquement le nom du roi Louis XIV, ou celle consistant à acquiescer lorsqu’un manifestant traite le maréchal Joffre d’un nom d’oiseau, elles rappellent que manier la caricature historique peut être délicat". Avant de poursuivre : "Des propos beaucoup plus extrêmes ont aussi été entendus, notamment des slogans violemment hostiles à « Paris », au « pouvoir centralisateur » et au président de la République. « Je réclame un État alsacien indépendant, avec notre dialecte comme langue officielle », insiste Bernard, un Bas-Rhinois, en regrettant que « la France semble avoir complètement oublié l’Histoire alsacienne ». La dimension apparemment identitaire du défilé a été renforcée par la présence de militants indépendantistes bretons, qui ont pris la parole en fin de manifestation."
Pour mémoire aussi, la carte de France défendue par la Fédération Régions et Peuples Solidaires dont Unser Land est membre :